« Bibi Lahori fut exposée sur le sol de la cour centrale. Une longue plainte régulière emplissait l’espace. Un groupe de vieilles pleureuses professionnelles officiaient, se martelant en rythme leurs mamelles. Ma mère nous embrassa. Elle avait les yeux gonflés. Mon père, en costume noir, paraissait calme.[…]
En me serrant dans mes bras, Anil m’expliqua que la Bibi s’était réveillée au petit jour et l’avait appelé pour lui demander de la soulever de son lit et de l’étendre sur le sol. Elle savait que son heure était venue.[…]
Tout le monde dit que, de mémoire d’homme, c’était la plus grande procession funéraire qu’ait connue la région. Avec les deux fils de Bibi Lahori, Anil et mes cousins Kunwar et Tarun, je glissai mon épaule sous son brancard. Elle était légère comme un linceul. On eût dit que nous portions seulement les tiges de bambou. Le site de crémation, situé à la sortie du village, était bondé. La foule se tenait accroupie sur le muret d’enceinte en brique inachevé. […]
[L’adjoint au préfet] portait un bouquet de fleurs – quelques tubéreuses, des glaïeuls et des œillets.[…]
Le prêtre entama le chant des derniers sacrements.
Après que Kewal Taya eut brisé le crâne de la Bibi à travers les flammes avec un échalas de bois, chacun alla se laver les mains à la pompe et ramassa une brindille. Ensuite, sur la route de terre à l’extérieur de l’enceinte, rangés en phalanges tels des soldats romains, nous nous agenouillâmes, le dos tourné au feu crépitant. Puis, au signal du prêtre, chacun cassa d’un coup sec sa brindille et jeta les morceaux par-dessus son épaule. Nos liens avec la femme dont le corps brûlait derrière nous étaient rompus. Le cercle de la vie était clos. »
En me serrant dans mes bras, Anil m’expliqua que la Bibi s’était réveillée au petit jour et l’avait appelé pour lui demander de la soulever de son lit et de l’étendre sur le sol. Elle savait que son heure était venue.[…]
Tout le monde dit que, de mémoire d’homme, c’était la plus grande procession funéraire qu’ait connue la région. Avec les deux fils de Bibi Lahori, Anil et mes cousins Kunwar et Tarun, je glissai mon épaule sous son brancard. Elle était légère comme un linceul. On eût dit que nous portions seulement les tiges de bambou. Le site de crémation, situé à la sortie du village, était bondé. La foule se tenait accroupie sur le muret d’enceinte en brique inachevé. […]
[L’adjoint au préfet] portait un bouquet de fleurs – quelques tubéreuses, des glaïeuls et des œillets.[…]
Le prêtre entama le chant des derniers sacrements.
Après que Kewal Taya eut brisé le crâne de la Bibi à travers les flammes avec un échalas de bois, chacun alla se laver les mains à la pompe et ramassa une brindille. Ensuite, sur la route de terre à l’extérieur de l’enceinte, rangés en phalanges tels des soldats romains, nous nous agenouillâmes, le dos tourné au feu crépitant. Puis, au signal du prêtre, chacun cassa d’un coup sec sa brindille et jeta les morceaux par-dessus son épaule. Nos liens avec la femme dont le corps brûlait derrière nous étaient rompus. Le cercle de la vie était clos. »
Tarun J Tejpal, Loin de Chandigarth
Telle une prophétie, je venais de lire ce passage dans le train, quand un coup de téléphone m’annonça le décès de Dominique Milbéo, amie et vidéaste. La réalité est plus âpre à vivre qu’un roman. Ce soir, alors qu’elle n’est déjà plus que cendre, et que nos brindilles sont censées être rompues, je conserve une place dans mon cœur pour son souvenir et souhaite à ses œuvres de ne jamais achever leur cercle de vie.
Photo 1 : Marché aux fleurs, par Elo B. Photo-reporter
Photo 2 : extraite du Cercle des nuages, une vidéo de Dominique Milbéo, 2004 - Cinédoc
10 commentaires:
je regrette de découvrir ce si beau texte sur une si triste nouvelle.
I am so very sorry for your loss.
Très beau texte ...
toutes mes pensées pour toi et ton amie Dominique
Mes pensées accompagnent ton amie pour son dernier voyage
Merci infiniment
Mes pensées vont vers toi !!!!!
Bizzzzzzzzzz
Barbara
Un bel hommage pour Dominique...
Je pense à toi...
Bonjour Virginie,
Matinal pour Dominique qui me fait apprécier depuis quelque jours leur levé par l'usage illicite du bureau afin de préparer l'inventaire de son Œuvre et une exposition l'automne prochain. Retrouvons-nous, échangeons et partageons le 2/8 nos pensées...
Merci à tous pour vos commentaires.
Bienvenu à toi Jean-Michel. Bravo pour ce travail d'inventaire ; j'attends avec impatience cette exposition. Le souvenir de Dominique m'accompagne plus que je ne l'aurais imaginé et c'est avec plaisir que que je partagerai avec toi une pensée pour elle, qui même dans sa mort nous a donné une leçon de vie. J'espère bien que tu seras de la partie pour le pique-nique du 2 (probablement le 3 en fait)... avec la tournée des pique-niques de l'année dernière, c'est parti pour le pique-nique virtuel...
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